lundi 29 octobre 2007

MES POISONS & DEUX ANTIDOTES (4)



Vanité

(collage)


on ne peut pas
mourir avec de pareils
yeux etc…

siècle pierre tombeau

— je n’ose
soutenir ce regard
plein de futur

__________________
tirer la ligne finale, et calme
du lourd tombeau

(Extraits du Tombeau d’Anatole de Mallarmé)

dimanche 28 octobre 2007

DÉDIKASS' À LA PLUIE ET AU VENT









TERRE NOIRE




Mon premier séjour à La Réunion fut presque impromptu. Notre première année universitaire à l’École Normale Niveau III de Tananarive, commencée fin septembre 1980, à notre arrivée, fut très brève et peu chargée : nous n’avions, pour l’heure, qu’une promotion, entrante… Et cours comme examens furent bouclés pour fin mars. La situation sociale sur place était agitée en raison d’émeutes sporadiques (bien sûr téléguidées, mais par qui ?), accompagnées du pillage (rituel) des magasins indo pakistanais et, dès février, nous vécûmes sous le régime d’un couvre feu qui se perpétua jusqu’en juin, avec des atténuations progressives. Les pénuries battaient leur plein : il n’y avait pratiquement rien sur les rayons de ce qui s’appelait encore supermarché et à peine plus sur le marché : il fallait aller faire ses courses d’épicerie …à La Réunion, par exemple. Une fois l’année académique terminée l’on s’empressa de nous envoyer en congé, l’année suivante devant commencer dès le mois de juillet ! C’est ainsi que je débarquai à Orly deux jours après l’élection de François Mitterrand à la Présidence et mon séjour en métropole coïncida avec le changement de régime et une belle poussée d’optimisme rose bonbon. Une fois de retour à Tana, la date de la nouvelle rentrée s’avéra plus problématique qu’on ne l’avait dit et, quand nous comprîmes que, de fait, elle n’aurait pas lieu avant septembre voire octobre, nous envisageâmes de nouveaux petits voyages afin d’échapper à l’entonnoir oppressant qu’était Tananarive en ces jours d’incertitude. C’est ainsi, que profitant de l’invitation d’un ancien condisciple de classe prépa, en poste à La Réunion, j’y vins pour une quinzaine en août 1981. Éblouissement et touffeur furent mes impressions initiales et très fortes. Pourtant l’on était en hiver mais je n’étais pas encore tropicalisé. Cette terre me saisit à la gorge avec sa luxuriance verdoyante jusque sur des monts qui m’inspirèrent tout de suite, et une sorte d’exubérance, vitale mais très calme en même temps, sensible un peu partout. Avec aussi son envers, son revers : lors de ce premier séjour, une après midi, alors que j’attendais l’ami qui m’hébergeait et dont le bureau jouxtait le Jardin de l’État, jardin d’agrément et jardin botanique au cœur de Saint-Denis, je fus pris soudain, assis dans ce jardin bras ballants, devant le spectacle uniforme, obsédant, écœurant de cette terre noire, lourde et indéfinissable d’une sorte de découragement universel qui me fit soudain me demander avec vertige pourquoi j’étais là plutôt qu’ailleurs, en ce bout du monde, en cette fin de tout où j’étais seul, sans perspective et où je n’avais rien à faire… Mais : “Ce n’est rien : j’y suis ! j’y suis toujours.”

18 décembre 2003

mercredi 24 octobre 2007

"JETS D'AILE VENT DES ORIGINES" DE BORIS GAMALEYA


Boris Gamaleya et Diotimos à Aiglun

Aile donne-nous…

Ainsi, puisque sont accumulés en cercle
Les sommets du temps, et que les bien-aimés
Demeurent proches, s’épuisant sur
Des monts très séparés,
Donne en toute candeur eau,
Aile donne-nous, au sens le plus propre
À passer et revenir.

Hölderlin, Patmos

L’entité à laquelle Hölderlin s’adresse en ce début de son grand poème Patmos n’est autre, on s’en rend compte un peu plus loin, que le génie pétré des monts de l’Asie mineure, l’Ange du Tmolus, du Taurus et du Messogis. Le poète de La Réunion invoquerait, lui, l’esprit des cirques, des remparts et des pitons de son île, dont le plus notoire est « fournaise », volcan en activité. Ce serait toutefois avec le même désir d’essor, de départ et d’expansion, avec le même appel à « passer l’eau », pour franchir les mers, à tire d’aile, à vol d’oiseau, vers les continents improbables du grand Sud, vers le Royaume des Eaux-Blanches. « À passer et revenir », ajoute le poète allemand qui sait qu’il n’est de départ sans idée de retour ni de retour sans esprit de départ…

Mais comment démarrer et où se tient l’origine, le vrai point de départ ? Car l’ouvert précède l’ouvert en un « toujours déjà » :

Avant que ne s’ouvrent les fenêtres de montagne — un coq de bariolage
— avant les dieux — avait déjà cueilli le mouvement dont s’est retiré
l’oiseau — sur un toit à l’envers ton long poids de distance.

Le chant du coq anticipe l’aurore, l’ouverture des monts en fenêtres sur l’orient, en s’incorporant l’envol, l’essor ou le « jet d’aile » de l’oiseau : il y a de la sorte dans et par la voix un geste déjà dessiné, incarné qui est « motion » intérieure ou intime, tracé et trajet incorporés. Et cet élan et ce départ qui déplacent et même inversent le poids de l’être en le transmuant en distance vont ainsi inventer leur course et il faudra lire d’un coup, en une inspiration neuve, en un souffle qui ouvre, — et non pas retrouver ou reconnaître — ce qui se conçoit alors à neuf dans l’essor ouvert par les mots et leur syntaxe :

Partout où — dans le sens du signal — une phrase commence — tu
sourirais à la mort comme aux anges gardiens — aux vigiles
embusqués derrière le dernier four solaire.

Dans le poème tout comme dans le jour qui commence, il n’y a guère de place pour le préconçu, le prémédité, le savoir préétabli mais il faut, avec la phrase naissante, avec la lueur et la voix, accompagner le signal de son propre « méditer », réinventer un rapport au monde et à autrui. Certes le sourire resterait poli — un peu condescendant — celui qu’on dédierait aux puissances : à la mort, à la bonne conscience, aux farouches gardiens du territoire, mais la liberté exacte du même sourire répond à l’arrachement, à l’écartèlement de l’aurore : « Il y a toujours dans l’art de l’aube — haute norme du coq — un concert écartelé ». Le geste mental et vocal de l’homme, geste premier mimé à même le monde, promeut une harmonie des contraires qui est un déchirement surmonté, emporté par l’élan et « les abrupts, hauts jeux d’aile, se mireront, aussi : qui les mène, perçoit une extraordinaire appropriation de la structure, limpide, aux primitives foudres de la logique » (Mallarmé : Le mystère dans les lettres). Car que dit la primitive logique, le « logos » premier ?

Je ne vois de Dieu que le Bras somnigène des Ombres.
Fleur sonne ! Cloche s’étage !
Une tête de lune saupoudrée d’étoiles ne cesse de pencher…

Celui que l’on appelle Dieu se creuse d’ombre dans l’ombre, creux au sein du creux et parlant par le sommeil et les songes : il n’apparaît que disparaissant dans les choses, évanescent. « Fleur » et « cloche » échangent ou plutôt recroisent leurs essences pour montrer et surmonter dans le même essor la faille du réel, l’impossibilité du voir et du dire immédiats, confrontés à ce qui est en tant qu’il est. Et il y aura donc « correspondance » agente entre le plus haut et le plus bas, l’ici et le loin, le même et l’autre… Le visage de la lune regarde la terre et les yeux des terrestres auscultent indéfiniment sa tête et sa couronne stellaire : la mimique et la mimétique de l’être sont d’emblée cosmiques, telle est la logique !

Qui se tient en l’île, vigile (ou Virgile ?) rampant, scrutant du haut des « ramparts que le brouillard déstabilise » ce qui va et vient, vient et va sur la terre, sur la mer et dans le ciel, — sur les ondes hertziennes également — ne cesse de sortir, de se projeter en rêve, en verbe et en images visuelles/sonores/tactiles, inventives et véridiques (c’est-à-dire disant le vrai), jusqu’aux confins de l’horizon. Car il lui convient d’expérimenter la multiple « mêmeté », l’unifiante altérité ou hétérogénéité de l’être qui exigent pour être senties, vécues et appropriées le conscient et constant déport vers l’autre, l’ailleurs, l’inconnu :

Sois autre encore et toujours ! Et dans l’ordre-là de cette nuit branches
qu’on déploie de l’onction extrême… hidalgo… dogon… bouddha en
dix terres dont le regard crève le crabe dans son bol… collyvades du
mont Athos… roi Domingue avec qui — chez Plutarque — j’ai rendez-vous…
Sois autre ! pays du Magoule… pays du monte-en-l’air et du languète-
les-autres-peuples… holà les demeurés ! engeance de nasiques !


Le poète de l’île-univers — de l’île-au-monde — s’en prend aux tenants de l’île-chez-soi et pas-chez-les-autres, de la langue murée en sa singularité, de la culture cultivée comme un pied de riz et refermée sur une identité arrêtée et classée, comme le crabe en son bol. Et la parole comme la pensée de poésie — car la poésie pense, ne vous déplaise ! — ont vocation à briser ce carcan identitaire ! « Un dictionnaire poétique décolle au quart de foudre parmi les magellanes. » Et, pour ce faire, elles prônent et réalisent « l’exil à fond de caisse », accompagnent la « …forêt de Dunsinane en vogue sur les houles… », exaltent les « …quarantièmes rugissants des shopping trolleys… » et les « …grandes surfaces de l’Est sauvage… », en maintenant et sauvant toutes les ambiguïtés référentielles bien sûr, qui permettent les jets et jeux d’ailes des signifiés accolés aux suggestives couleurs des signifiants. Mais il ne s’agit pas, on l’a compris ou du moins pressenti, d’encourager la dispersion et le relativisme, le cosmopolitisme ou le tourisme, de se chamarrer des différences comme d’autant de colifichets versicolores. Le départ et le détour — l’exil — s’entendent avec « esprit de retour », avec la volonté de contribuer à rapprocher encore « les bien-aimés » qui « Demeurent proches, s’épuisant sur/ Des monts très séparés ». Le paradoxe reste celui de la distance et de la proximité — ceux aussi de l’exil et du retour, du visible et de l’invisible — qui, incessamment, inversent leur signe.

L’apparemment proche, tout proche, on le sait, ne se connaît comme tel que dans la distance, fût elle minime, où l’on se place par rapport au trop connu, au familier ; le lointain s’appréhende comme voisin en l’essor qui tend vers lui et saute les abîmes. Ceux que nous aimons, ce que nous aimons et qui nous aiment, unissent en leur être la particulière qualité d’un « proche-lointain » qui n’est pas une contradiction pour l’esprit mais la concordance discordante du cœur. Notre royaume en ce monde est alliance et alliage, une forme du lien qui n’oublie ni l’écart ni le distinct maintenus dans l’union, une forme de tension qui n’abolit ni la ressemblance ni le désir incarné du retour au point d’origine. Alors celui qui fait le geste mental, vocal et même physique de partir vers l’inconnu, l’inouï, le tout autre, vers le Royaume des Eaux-Blanches ou le grand Sud, à tire d’aile dans le souffle de l’esprit, ne doit pas délaisser longtemps le proche et le minime, l’exquis où s’amasse l’or bleu de la présence :


Invisible à qui je parle tu as oublié de cueillir le feu jaune des alliages. Reviens retourner les menus miroirs des gouttes jusqu’à n’avoir plus
de patries à convoquer…


Le poète parle à une entité qui, pour nous apparaître « proche-lointaine », doit scruter avec nous jusque dans le détail la dentelle visible-invisible de ce qui fait notre véritable séjour et cet Ange singulier n’est pas seulement le génie pétré des monts qui gardent le « vent des origines », mais la fée qui tend des fils de « colombe » à « crépuscule » et de « neige » à « émoi », d’« artifices » à « festin » et d’« aragne » à « goyave » …et qui danse. C’est elle qui nous donne aile et eau, au sens le plus propre, « à passer et revenir » !

A propos de Jets d’aile Vent des origines, poèmes de Boris Gamaleya

(Paris, Jean-Michel Place, 2005)

15-19 septembre 2005

mardi 23 octobre 2007

COMMENTAIRE DU "BANQUET" DE PLATON (8)




Du désir comme manque ou comme intentionnalité (Agathon subit tout de même un élenkhos, 199c-201c)
Quelques compliments encore au jeune dramaturge, qui ne saurait plus y croire, et Socrate attaque le « bel exorde » d’Agathon, où ce dernier prétendait montrer d’abord « la nature d’Éros ». Pour ce faire, il pose une question d’allure faussement simple : « Est-il dans la nature d’amour d’être l’amour de quelqu’un ou de quelque chose, ou de personne ou de rien ? » Socrate disjoint d’emblée la personnification qui fait d’Éros un dieu anthropomorphe (que l’on peut orner et représenter de multiples manières, séduisantes) du principe actif qui le caractérise, l’attraction désirante, la polarisation orientée et susceptible d’orienter (principe sinon abstrait, du moins irreprésentable comme tel). Pour éclairer son interlocuteur, Socrate évoque la filiation : parle-t-on d’un père ou d’une mère, d’un frère ou d’une sœur si ce n’est de façon relationnelle et relative ? L’on est forcément dit « père » ou « mère » seulement si l’on a engendré ou adopté quelque enfant ! Donc amour est forcément amour de quelqu’un ou de quelque chose. Il est désir, mais : « Est-ce le fait de posséder ce qu’il désire et ce qu’il aime qui fait qu’il le désire et qu’il l’aime, ou le fait de ne pas le posséder ? » La réponse apparemment évidente qu’implique la tournure de cette question engage de fait une définition du désir comme manque (dont le succès plurimillénaire est avéré), ce qui est une interprétation réductrice de l’intentionnalité déjà admise : l’on peut admettre en effet que le désir soit toujours reconnu et défini comme désir de quelque chose sans que cela induise à chaque fois que ce quelque chose « manque ». Pour masquer cette réduction Socrate entraîne son adversaire dans un détour qui prépare à sa façon la thèse majeure de Diotime : peut-on dire que celui qui est déjà riche et en bonne santé « désire » richesse et santé ? Non, si l’on s’en tient à la définition stricte. Oui, si l’on projette son aspiration vers l’avenir : il souhaite continuer à jouir de la santé et de la richesse le plus longtemps possible, toujours si possible (se profile discrètement le désir d’immortalité que Diotime découvrira au cœur même du désir érotique). De la sorte, « aimer ce dont on n’est pas encore pourvu et qu’on ne possède pas, n’est-ce pas souhaiter que, dans l’avenir, ces choses-là nous soient conservées et nous restent présentes ? » La distinction disjonctive, un peu fallacieuse, faite ainsi entre « avenir » et « présent » permet de définir l’objet du désir comme « ce dont on ne dispose pas et ce qui n’est pas présent ». Dans ces conditions, « puisque Éros [principe désirant plus que dieu, ici] porte sur quelque chose et qu’il porte sur quelque chose dont on est dépourvu dans le moment présent », comment interpréter « l’amour du beau » qui serait la nouvelle loi dynamique et créatrice introduite dans l’univers par Éros ? Car celui-ci, en personne comme en principe, ne saurait bien sûr être qu’amour de la beauté, non de la laideur, c’est prouvé ! mais s’« il aime ce dont il manque et ce qu’il n’a pas », peut-il encore être dit de lui qu’il est déjà « beau » c’est-à-dire maître et possesseur de la beauté ? En proclamant, dès le début de son discours, qu’Éros est « le plus heureux, car il est le plus beau et le meilleur », Agathon « risque fort d’avoir parlé sans savoir ce qu’[il] disait », comme il l’exprime lui-même. De plus, comme le beau et le bien se rejoignent, son erreur s’avère même double. À ce point, le jeune auteur tragique renonce à raisonner et à débattre : il accorde à Socrate, à contrecœur, tout ce que ce dernier veut lui faire reconnaître.

lundi 22 octobre 2007

MES POISONS & DEUX ANTIDOTES (3)




Danse macabre

Propos d’esthète


L’on déposa les os
à l’entrée des latrines —

de forts tibias de bœufs
avec d’énormes rotules
le cartilage — sanglant —
en était inégalement raboté

haltères — en esprit —
pour un athlète nu
se soumettant le sordide.

dimanche 21 octobre 2007

UNE NEUVAINE D'AMOUR (2)



4. Traverser ton visage
jusqu'à son épure
— hors chair
et pourtant chair encore —

éclaircie épanouie pacifiée
cueillie comme l'anémone coulée
de nos nuits d'amour

et cette aube lavée
passée au bleu d'une seconde innocence.


5. Les lèvres de ton baiser
ne se joignent jamais —
entrouvertes sur l'intime
la chaude caverne de la bouche —

les lèvres de ton chant
exaltent leur ferveur
la vigueur et la joie du gosier —

les lèvres de ta prière
laissent juste passer un souffle —
murmure de demande et d'offrande
unique flux de l'âme en attente —

je ne t'imagine pas
les lèvres closes.


6. J'habite ton absence —

verrière de poussière ailée
tente de lumière
— un rayon fait saillir
les nervures de l'air —

sans corps — sans corps
corps de gloire —
jusqu'au point de nuit
qui te rend une chair
dans la mémoire de mes mains.

vendredi 19 octobre 2007

UN PUITS DE HAUT SILENCE



Jeter la pierre qui dit
dans le gouffre de la parole
l’écho
le silence

* * *

Tu jettes tes pierres
dans un puits de silence —

dans un puits de lumière
qui monte au ciel.

Avant-dire

Poésie est silence. Elle fait silence dans les mots. Ses vocables, proférés en esprit et en gorge, creusent des trous, des blancs béants, dans le brouillard adipeux du bavardage ordinaire. Cailloux lisses ou anguleux qui se cognent aux parois en ricochant, qui glissent, coulent et roulent et ne trouvent pas de fond. Rendre à la parole sa rondeur massive, son poids rugueux et imprescriptible, sa densité charnelle, charnue, c’est remettre les mots à égalité avec les choses, avec le monde.

Chaque fois que prend le chant, ça s’origine dans le présent du chant : commencement où il y a naissance. En vérité, nous ne cessons de naître, le seul instant qui nous soit disponible et mesuré étant l’actuel, unique. Tel est le mystère de notre incarnation, cette naissance continuée dont l’éclosion est, à chaque jaculation, proprement incalculable. Point, germe, élément, arc sifflant la mort, lyre vibrant la vie, boue, fer et ciment, étoile, source :
« Naissance reste cela même qui ne cesse de venir ».

Un panneau de Jérôme Bosch, que je découvris au Palais des Doges, à Venise, présente par un jeu de cercles clairs et concentriques, nettement décentrés pourtant, l’ascension, comme en un puits de lumière, des élus vers l’Empyrée. Le plus saisissant toutefois est qu’ils paraissent tout aussi bien tomber que monter ! Et il faudrait forger une notion de portée métaphysique qui serait un « tomber-monter » où le sens de l’espace-temps se reverse en une unique leçon de lumière.

15-19 octobre 2007

Un puits de haut silence
Recueil à paraître prochainement
aux éditions Le Chasseur abstrait

jeudi 18 octobre 2007

"LEÇONS DE TÉNÈBRES" DE JEAN-PIERRE COLOMBI



Cette voix poétique semble d'emblée nous parler à travers la vitre grise et terne du deuil :

Voici un soir amer comme parfois des fruits
Les fleurs semblent couchées sur des panneaux de nacre
dans le jardin et mes regards perdent appui

Une balance amère une étreinte affaiblie
je ne sais quel état indifférent de l'ombre
peut-être un mouvement de la mort qui m'attend (poème 3)

Nous sommes mis en présence d'un monde pluvieux, borné par les averses et comme légèrement déphasé par rapport à ce que pourrait être un monde ouvert, vécu dans la pleine lumière d'un jour évident :

La pluie marchait comme les chats
sur la pointe des feuilles sombres
Elle mouchetait chaque mur
de petites bannières d'eau (24)

Écart avec l'être au sein de l'être-même :

Je m'arrête à cette douceur trop éloignée
sur le seuil de cette douceur qui me délaisse
plus vite que la nuit ne vient (1)

Toutefois le travail du deuil fait évoluer sans cesse cette impression, presque négative d'abord, vers une sensation plus douce, apaisée : on est apprivoisé à la mort, à la douleur et l'on dérive vers une douce présence au monde, un peu sourde, éteinte, terne, faite d'angoisse et de peur maîtrisées, de menace suspendue. Ce qui permet une cohabitation avec le monde relativement heureuse, tissée de patience, d'attente, de recueillement passif :

Les fleurs les animaux les pierres et les vagues
se reflètent dans ma conscience avec bonheur
Je n'ai guère attendu autre chose des êtres
Ne rien faire est parfait (102)

Se déploie un monde en demi-teinte, légèrement passé (comme on le dit d'une couleur), détrempé. Beauté informelle et presque abstraite, ne se référant pas à la totalité pour prendre sens : éloge du détail et du minine, dans le réel comme dans la sensation physique, mentale ou rétinienne :

Une chauve-souris
qui vole gentiment
traverse l'air obscur
l'air bleu sombre

Je ne l'ai même pas
vue s'effacer dans l'air
sombre de cette nuit
sur ma gauche

mais son empreinte dans
ma conscience du soir
s'est emplie de bonheur
comme d'eau (76)

Ceci conduit à la revendication d'une certaine neutralité métaphysique, proche de ce que Maurice Blanchot appelle un "rapport du troisième genre" :

C'est la saison du monde où la mort est montée
très haut dans le lit de nos jours
et les hommes vivent de mort
comme d'une eau indifférente

Mais pour moi je ne voudrais vivre ni de vie
ni de mort mais dans un oubli
pareil à celui de la mer
car mes désirs sont attisés

La peine que je prends ne me délivre pas
l'image que je tends s'éteint
sur l'océan de mort où l'ombre
de la vie aussitôt se referme (107)

Mais ce n'exclut pas une sorte d'espoir final qui semble délaisser (temporairement) la nuit pour privilégier une reprise, celle de l'aube :

La vie se lève sur de neuves déchirures
et délaisse ma nuit

Le silence est refermé comme une corolle (190)

Un livre de poèmes important pour son bruissement en mineur. Il faut lire et relire, se laisser porter par cette musique, un peu sourde et monotone, mais lancinante et taraudante comme une légère douleur, interne au corps et que la sensation épurée du dehors calmerait, renverserait presque en douceur.

(11 décembre 1980)

Éditions Gallimard, 1980.

mercredi 17 octobre 2007

MOI, J'AIME BOURDELLE














"LE PAYSAGE" DE MICHEL DUGUÉ



L'homme est et n'est pas la mesure du paysage. Ce dernier semble d'abord familier : on l'a sous les yeux, sous la main. On en peut nommer les choses une à une et les lieux : paysage marin de la Bretagne du Nord.

L'on dit ainsi : mon herbe, cyprès et "coupe-vent", Pointe du Château, Sept Iles, chaussée des Renauds. L'on n'est pas surpris par les métamorphoses atmosphériques, les variations subtiles de la lumière. Pourtant le vent, lui, vient de plus loin, il rôde et approprie le pays, le paysage au souffle de l'ailleurs. Et l'autre vient aussi du cœur du proche, de l'ordinaire des heures : l'autre apparaît dans l'éclaircie. Qui creuse sur place une lacune, un vide en tout ce qui est. Qui ouvre en un moment exceptionnel de révélation et d'équilibre — où les choses se redisposent dans leurs volumes et leurs couleurs — une correspondance inédite rappelant sur le mode du regret le mouvement initial, initiateur du premier contact — toujours déjà perdu — avec le monde. Avec quoi le silence et l'exigence d'une extrême aération des mots et des phrases : le texte se fait le recueil de touches, bribes, traces et n'a pas l'outrecuidance de prétendre coïncider avec son pré-texte. Mais le sentiment d'équilibre lié au silence est précieux : il permet de lire à même la réalité le jeu des forces engagées dans la seule présence des éléments terrestres. Combat presque immobile d'adversaires arc-boutés, résistance et équilibre une fois encore mais inhumain. Stabilité sans humilité de la Terre, surplomb abrupt du Ciel, mouvance errante et dépaysante du vent et de l'Océan. Et l'homme serait sans doute, de toutes parts, excédé voire annihilé par ce qui le dépasse s'il n'y avait le partage.

Le pays, le paysage se crée dans et par le partage, dans un habiter ensemble : un habiter de peu de paroles où les mots sont les gestes du corps qui inscrivent la relation humaine dans le temps — dans la lenteur — et dans l'espace quotidien. L'accueil, la reconnaissance de l'autre se font en une accommodation réciproque des gestes, en un échange signifiant et concret de regards : sur le fond de "l'inconnu familier" (qui demeure inconnu bien que reconnu) peut éclore le sourire qui est bien le seul rayon humain comparable au soleil. A ce soleil dont l'éclairement est l'assomption du pays comme de ses habitants sortant enfin de l'Hiver et entrant dans la connivence active d'un bien-être commun. En Bretagne, sans doute plus qu'en des contrées bénéficiant d'une insolation plus intense, le Soleil reste le sourire complice de l'être.

( Editions Wigwam, Rennes, 1993)

mardi 16 octobre 2007

MES POISONS & DEUX ANTIDOTES (2)




Perrault en corps
ou le cru et le cuit


Paroles d’ogre


Un petit serpent
pour l’oreille
et un cornet plein
de poison —

Pour la bouche
un beau crapaud
et un petit pot
de beurre —

Un fumet cannibale
et le nez
s’épate à l’odeur
de la sauce Robert —

Vertiges, prodiges et ordures
pour les yeux
— couverts de croûtes
et chassieux —

Mais la chair est fraîche
et jeune et tendre
sous la peau rance
qui l’enrobe —

Sorcières et sortilèges
et tours de fées
ne cessent de nous dérober
des spectacles le plus pâmant :

une Belle qui saigne et geigne
un Prince qui ahane, lame
et brame sa flamme.

lundi 15 octobre 2007

"PATMOS ET AUTRES POÈMES" DE LORAND GASPAR



ou
soutenir l’insoutenable


quelqu’un en moi écoute sans relâche
l’inaudible battement dans les choses

Ce que font les choses, ce que fait le monde en son flux et en son ordre (bien que le principe et le vrai moteur ne cessent de nous en échapper) c’est “être là” et c’est bien là “la force tranquille d’être là des choses”… Ce que voudrait connaître et “comprendre” l’homme (prendre avec lui, prendre en lui, prendre sur lui) c’est ce que veut dire pleinement “être ici” :

comprendre vraiment ce qu’est être ici
nuage, martinet, homme ou caillou —

c’est ainsi dans les moments les plus simples
que le dire s’enracine en son vivre —

L’homme — et le poète, éminemment ! — est celui qui a toujours besoin (sauf en “les moments les plus simples”) de questionner l’accord, de réaffirmer le lien et de s’assurer un lieu qui est aussi le moment et le présent… Car les choses se donnent rarement telles qu’en elles-mêmes. Elles résistent, revêches, opaques, bornées voire hostiles, et l’homme se murmure alors : “Tout ce que savent faire les choses c’est être là mais sans nous…” Ce retrait, ce refus tiennent aux choses et tiennent aux hommes. Une alacrité singulière caractérise l’émergence du vif qui se produit alors aux dépens de tout :

Le petit jour dénudé de ses feuilles
l’être-ici cinglant des choses touchées
cailloux de la voix dans l’eau d’une source —


Et le toucher, même du regard, est risque de brûlure et de blessure… Et le médium utilisé par l’homme réplique à la violence par une autre violence. Car l’homme est, lui aussi, prédateur quand il soumet la nature à son aune et qu’il lui impose son sens de la mesure, ses modes de calcul et ses chaînes hypothético-déductives… La nature dans sa matérialité brute a quelque chose d’insoutenable en effet et l’homme, en universel barbare, est toujours tenté de rompre ou de déborder une alliance qui frustre ses espérances et ses envies les plus humaines.

Comment faire pour rouvrir le lieu et réaffirmer le lien sans spolier l’un ou l’autre des partenaires obligés et courir à l’échec ? Il faut, au monde, venir sur le mode du plus simple et du purement “spacieux” ; il faut, à l’homme, être en état d’accueil… Certains lieux — ils sont souvent de ceux où s’affirment l’empire de la lumière et/ou le flux rythmique des éléments, monts et ciel, île, mer et fleuve étale ou profond, désert, chott et vastes plaines ; ils ont nom, ici, dans le livre et dans la vie de Lorand Gaspar, Patmos, Sidi-Bou-Saïd, Raouad, Judée, Mer Rouge, Sefar ou Linaria — ces lieux déploient le simple et l’offrent tel quel comme spaciosité ouverte et “battement”… Certains hommes entretiennent, en marge de leur conscience vigile, de leur activité et de leur identité reconnues, une attention plus obscure mais toujours aux aguets, prête à saisir ce qui vient sans en avoir l’air, prête à scander le monde et à le vivre selon le rythme proposé par les choses. Au point de rencontre entre l’offrande et l’accueil, s’enfle en un seul et même souffle ce que les peintres japonais, adeptes du zen, appellent le “Ah !” des choses, soupir du monde, exclamation de l’homme, rythme enfin partagé… Mais c’est aussi soutenir l’insoutenable :

les yeux de nuit un instant grand ouverts
regardent chaque son ou battement brûler
d’un insoutenable qu‘il faut soutenir —

Insoutenable, ce “Ah !” l’est parce qu’il n’a pas besoin de soutien ni de support, il se suffit à lui-même, sans aide ni raison ni pourquoi… Il l’est aussi parce que nul ne saurait le porter ni le “supporter” longtemps, “cinglant” et brûlant, il déchire tout consensus pudique ou émollient et impose son contraire-complémentaire, avec le jour la noirceur du jour, avec la douceur de l’air l’aridité du roc aigu, avec le vent fertilisant et musardant la tornade, avec la tragédie de la vie la comédie de la mort et l’inverse, avec la chair vive parfumant de désirs la putréfaction et l’os sec… Il faut en effet être en mesure de soutenir le double assaut, d’assumer à chaque fois, à chaque instant, en chaque instant apparemment sauvé, la double part qui nous est faite et qui est pleinement nôtre, humaine, trop humaine :

ma langue natale comme tu sais te taire
sur les pierres noires de nuit
la seule lueur est ce battement
dans la gorge dont on ne sait
si c’est angoisse, prière ou accord —
mais où est la ligne de partage
entre ce rien qui coule sans bouger
une feuille et la houle qui emporte
la nuit, la maison, le nageur ?


La gorge peut délivrer le silence, le chant, la parole ou le cri d’angoisse quand elle se resserre sur son souffle le plus désespéré ; “ce rien qui coule” est entre vie et néant ; la “houle emporte” pour perdre comme pour sauver… La “ligne de partage” est parfois à peine discernable entre la tempête qui ravage au-dehors et le “bonheur d’entendre le vent au-dedans —”. “Tant de choses incomprises”, et qui le restent selon l’art trop ordinaire du comprendre, n’interdisent pourtant pas l’effort d’un “comprendre” — attentif, presque muet, poétique en un mot — où, en soutenant l’insoutenable, “l’être ici” (parfois “cinglant”, parfois plein d’“ardeur”, magnifique parfois) s’harmonise un instant avec “la force tranquille d’être là des choses” dans “l’indessinable/ pure jouissance d’être”, un instant seulement…

(Editions Gallimard, 2001)

MES POISONS & DEUX ANTIDOTES (1)



Certaines fois c’est comme si la source de l’inspiration s’aigrissait et le poème naît, empesté, vénéneux, pervers ou seulement complaisant… L’envers affleure du discours convenu et convenable, du “poétiquement correct”, et se dévoile une matière corrompue qui reste habituellement enfouie, dérobée, refoulée. Mais moins qu’un défoulement, qu’un exutoire préparant le retour au lyrisme, il ne s’agit que d’un grincement ou d’un ricanement, passagers : ce “cynisme” installe le malaise et ne laisse rien intact excepté peut être, par-delà le thème de la mort, lui aussi galvaudé, le simple et la souffrance sur lesquels nul mot ne saurait mordre.

L’aigre plainte du scribe

Vivre petite vie
en la caverne aux livres
— murs striés
sériés pressés —

Vivre étroite et coite vie
dans le cloître des livres
— rangés compulsés oubliés —

Nourrir benoîte mort
entre ces minuscules tombeaux
— triés dressés émaciés —

Vie non vie —

dimanche 14 octobre 2007

CARTES POSTALES (4 et dernière)




SÉPULCRE ROYAL

Miary — Sud malgache

Attacher le mort à une forte branche :
qu'il se dévête de chair
pour afficher l'os —
gagner son droit au tombeau

— le cairn aux trois ailes orientées
monceau de pierres irrégulier
évidé en son centre jusqu'au sol —

et en ce cœur vide, la place du Roi :
une cloche de bronze,
un coffre de bois pourri
arc-bouté sur ses ferrures,
un vase de Chine à motifs bleus —

se tenir de biais — sur un roc branlant
face aux ancêtres
dans l'ouverture sans promesse
des choses visibles ?

samedi 13 octobre 2007

UNE NEUVAINE D'AMOUR (1)




1. C'est ton sourire qui est le voleur —
il flotte dans l'air
dépris des commissures
comme un fantôme, une ombre, une illusion —
il s'arrache et me déchire
lui qui a fui
avant que d'être sur les lèvres
embrassé.


2. Tes mains tissent des mots
de lumière et de vent

mais c'est un lé de toile sombre
qui court sous tes doigts

tes doigts minces et longs
à l'exacte caresse.


3. Ce n'est pas un œil
ce lac figé sous le gel des cils —
s'y concentre la semence
du torrent que nul ne remonte.

*

Où le bleuet surit
proche l'inversion des racines
arde doucement
l'oblique de ton regard qui me point.

*

L'œil blanc —
miracle de l'œil blanc !
dans le happement du jour
ce regard sans tain
sauve peut-être la lumière.

vendredi 12 octobre 2007

COMMENTAIRE DU "BANQUET" DE PLATON (7)




Jeunesse, justice et générosité créatrice d’Éros (Discours d’Agathon, 194e-197e)
Agathon pratique le style ampoulé et allitérant de Gorgias et son discours va être un tissu d’expressions choisies orné de citations et de références classiques. Il prétend restituer à l’éloge d’Éros sa véritable teneur en expliquant d’abord « la nature » du dieu avant d’en montrer « les dons » et bienfaits. Premièrement, tout en le disant « le plus heureux, car il est le plus beau et le meilleur », il le voit comme le plus jeune des dieux (contrairement à ce qu’a dit Phèdre) et comme se maintenant toujours jeune, lui-même jeune garçon toujours « en compagnie de jeunes garçons ». Sa naissance tardive, postérieure au temps des Géants évoqué par Homère, explique l’apaisement tardif de l’univers des hommes et des dieux : mais maintenant, règnent « la concorde et la paix ». Redoutable pasticheur, Platon introduit dans le discours toute une série de fautes rhétoriques comme dans le passage consacré à la délicatesse du dieu. En effet, l’orateur use d’une citation d’Homère dont la référence est pour le moins inappropriée puisqu’elle concerne Até, c’est-à-dire l’Égarement d’esprit, dont les « pieds délicats » ne se posent que « sur la tête des hommes ». Puis il pratique ce qui sera tenu pour une sollicitation incohérente des rapports métaphoriques quand, mêlant le concret et l’abstrait, il prétend qu’Éros ne pose pas même en fait son pied sur des crânes (bien trop durs pour lui !) non plus que sur des « âmes ayant un caractère dur ». Le manque d’harmonie des images devrait ridiculiser le pédant qui enchaîne en jouant sur les mots plus que sur les idées ou sur la vraisemblance des liens. De la même manière, la « constitution harmonieuse et ondoyante » du jeune dieu se trouve vite ramenée à la fraîcheur de son teint, en rapport au « lieu bien fleuri et bien parfumé » où « Éros se pose et demeure ». Sa non-violence permet au dieu, qui ne souffre ni n’accomplit aucun acte violent, jamais, d’incarner la modération et la justice : respectueux des lois et des vertus qu’elles gardent, il est tempérant. Mais, aussi, courageux car il l’emporte même sur Arès qu’il soumet à Aphrodite. Et, plein de science, il favorise l’inspiration poétique et il est « un bon créateur en tout domaine de la création qui ressortit aux Muses ». Enfin, maître de la procréation comme de la croissance, il règne sur les hommes et les dieux en même temps que sur la nature. Inventeur universel de tous les arts, il impose « l’amour de la beauté » comme la nouvelle loi de l’univers destinée à se substituer au « règne de la Nécessité ». Et, pour synthétiser l’ensemble des « dons » offerts à toutes les créatures par le dieu, la péroraison d’Agathon fait culminer cette rhétorique abondante et fleurie sur une série d’antithèses emphatiques : « C’est ce dieu qui nous vide de la croyance que nous sommes des étrangers l’un pour l’autre, tandis que c’est lui qui nous emplit du sentiment d’appartenir à une même famille… ». Agathon n’a cessé de prendre les mots pour des choses et l’ornement pour l’idée. Socrate ne va pas le lui faire dire !

Éloge et vérité (Socrate fait mine de prendre congé, 198a-199b)
Comme on pouvait s’y attendre, le public acclame Agathon, l’arbitre du jour en matière d’élégances rhétoriques et poétiques. Socrate feint le désarroi, mais c’est pour mieux contre-attaquer. En effet, son embarras résulte, dit-il, d’un malentendu : la beauté du discours qui vient d’être prononcé risque comme la tête de Gorgone — ou plutôt de Gorgias (il appuie son jeu de mots sur une référence à Homère) — de le pétrifier, si faire un éloge c’est s’exprimer ainsi. Il croyait, naïf et ignorant qu’il était, « qu’il fallait dire la vérité sur chacune des choses dont on fait l’éloge ». Or Agathon, et tous les autres avant lui, ont opéré comme s’il fallait « plutôt doter l’être considéré des qualités les plus grandes et les plus belles possibles, qu’il se trouve les posséder ou non ; et même s’il ne les présente pas, cela n’a aucune importance ». Et, dans la pensée de Socrate qui mesure les valeurs à l’aune philosophique, il ne s’agit là que d’un faire semblant et non d’un éloge à la fois beau, solennel et véridique. Qu’on n’attende pas de lui un tel tour de passe-passe ! il préfère se retirer. À moins qu’on ne lui accorde la possibilité de parler à sa manière c’est-à-dire selon la vérité et sans recherche esthétique ostentatoire. Donc il ne rivalisera pas avec les discours déjà prononcés sur le plan qui est le leur, celui de l’imagination débridée et de l’ornementation, mais s’efforcera seulement de « faire entendre des choses vraies au sujet d’Éros ». Les autres invités, rompus à l’originalité excentrique de Socrate, lui enjoignent de parler à sa guise. Mais le philosophe souhaite faire, auparavant, une petite mise au point avec Agathon qui en accepte le principe.

mercredi 10 octobre 2007

"CHANTS DE LAZARE" DE GÉRARD BOCHOLIER





Lazare est mort ou plutôt il vit l’ambivalence de cet état où sa chair rejoint un “fond” putrescible et marqué par l’amertume, apparemment inéluctable :

Mes yeux pèsent à fond de boue
Et le fiel envahit ma bouche.

alors que quelque chose d’autre atteint sa maturité et se sépare de sa matrice : une autre chair encore ?

Le grain est mûr. Le moissonneur
Du van a rejeté la balle.

Et l’éveil ou le réveil est le fait d’un cri de lumière et d’amitié qui appelle à soi et rend au monde tout autant qu’il rend le monde :

La voix de mon ami m’appelle,
Plus sûrement qu’un cri d’aurore.

Lazare est à nouveau vivant et le monde où il se meut est le même que celui qu’il a quitté et très évidemment il ne l’est pas, plus léger, plus “ajouré”, plus nourri d’air et de lumière qu’auparavant. Le ressuscité le salue avec respect et gratitude, avec un savoir nouveau et plénier de ce qui est :

Mon premier salut est pour les arbres,
Pour les puissances ajourées.

Mais ce sont les aspects gratuits, gracieux et comme inutiles de la nature qui sont désormais les éléments les plus sacrés, les plus importants. Rien qui pèse ou qui pose, désormais pour Lazare tout se volatilise et rayonne sur cette “Terre dure des vivants” : il préfère aux “roses”, au “jeune torse” :

Tes ombelles comme des grâces
Semées pour rien, parmi le jour.

Le second séjour de Lazare est celui d’un intercesseur entre visible et invisible, entre mort et vie, entre grâce et pesanteur. Il n’ignore pas l’inquiétude mais il lui fait traverser les apparences :

Ne me cherchez pas chez les morts,
Je m’inquiète dans l’invisible.

Car son retour n’en est pas tout à fait un, il a dépassé le but humble et premier du retour au même et atteint un autre état de la présence, l’état d’éveillé :

J’ai rejoint ce qui se dérobe,
Tout ce que l’aube me cachait,

Mis mes doigts dans l’eau du visage,
Bu les yeux de l’apparition.

Mystère de l’incarnation : coïncider avec une présence absente de façon à en reconnaître — fût-ce du bout des doigts, fût-ce à l’aveugle — le visage et à s’en approprier le regard dépossédant, ce regard qui, pour apparaître et faire paraître, “laisse être” ce qui vient. Paradoxe d’une venue qui exhume définitivement les yeux de la boue.

(éditions L’Arrière-Pays, 1998)

mardi 9 octobre 2007

VANITÉS (3)









Note bien sur ton livre les chiffres, les signes et les mots,
en colonnes serrées, solennelles, sommées.
Les bilans et les titres, traités, contrats
et cartels, actes, baux et procès-verbaux.
Enfle les pages, rimes et raisons ! Nota bene.

Souviens-toi des vies, des instants et des
gens, des rencontres, des attentes et
des pas, des rendez‑vous manqués, de
tes errances et errements.
Du temps vécu, du temps perdu
fais‑toi une raison ! Memento.

La fin couronne l’œuvre. C’est un rayon oblique
qui inscrit ce crâne oblong et gris dans le
triangle d’une lumière monochrome.
Suprême argument, il dessine une dernière
raison sur l’indifférence sans appel du fond.
Finis coronat opus !

lundi 8 octobre 2007

MA BIBLIOTHÈQUE IDÉALE


Aucun de nous
ne tient seul.

Il lui faut outre les os
une parole — fût-elle économe.

Alors le jour contemporain s’éclaire
un peu.

Michel Dugué



Ma bibliothèque idéale se niche toute dans ma bibliothèque réelle : c’est clair désormais, j’ai plus de livres autour de moi que je ne pourrai en lire en ce qu’il me reste de vie ! Cette prise de conscience incite à la sagesse et induit la circonspection envers la « nouvelleté », encore qu’il faille rester ouvert à la belle surprise, au chef-d’œuvre inconnu qui existe bien quelque part, et qui attend n’attendant pas…

Je commencerai par « le premier cercle », celui des poètes-frères (et sœur) dont l’œuvre et la personne me sont si proches que leurs textes me parlent tout de suite au cœur, poèmes, récits ou essais que j’aimerais souvent contresigner tant ils me disent (dans les deux sens de la formule). Je les citerai dans l’ordre de leur entrée dans ma vie et avec leur dernier titre pour moi marquant. Ce fut Michel Dugué qui prit contact avec moi et nous nous rencontrâmes à Rennes (alors que j’habitais du côté de Malestroit dans le Morbihan où j’enseignais). Nous avons pu constater, bien que ne nous voyant plus que de loin en loin désormais (je vis à La Réunion), que nous sommes toujours sur la même longueur d’onde. Je tiens Le jour contemporain (Folle Avoine, Romillé, 1998) et Éléments, formes, nuages (Dana, Rennes, 2000) pour des lieux ouverts (plus que pour des textes au sens strict) où s’élève et s’arase en même temps une lumière à forme d’homme. Je rencontrai Nicole et Georges Drano dans les marais salants du pays de Guérande (pas si éloignés de Malestroit) avant qu’ils n’aillent s’installer du côté de Montpellier. L’employée de la poésie (Rougerie, Mortemart, 2000) de Nicole Drano-Stamberg situe le royaume de poésie dans un vieux café de province où un large coup de torchon essuie une table desservie encore tachée de vin et c’est bien là que ça peut (re)commencer ! Pour Georges, il reste nécessaire de Tenir (Rougerie, 2003), sans rien posséder et par les mots, le peu qui fait chemin, jardin et visage. L’occasion d’un colloque à l’E. N. S. de la rue d’Ulm me permit de découvrir en Michel Collot plus et mieux qu’un universitaire c’est-à-dire un poète et un ami. Pour lui, la phénoménologie qui inspire souvent ses analyses n’est pas seulement une théorie mais le mode même du sentir : Immuable mobile (La Lettre volée, Bruxelles, 2002) étage les plans d’un regard qui s’inscrit en corps dans le paysage.

Le « second cercle » est celui des aînés côtoyés dans l’estime et longuement questionnés sur l’essentiel, en leurs lieux. Lorand Gaspar découvert par moi à Tunis qui me reçut souvent dans sa maison de Sidi-Bou-Saïd en vigie sur la mer comme sa poésie l’est sur le monde : Patmos et autres poèmes (Gallimard, 2001). Pierre Oster dans son petit bureau de lecteur aux éditions du Seuil : Paysage du Tout (Poésie-Gallimard, 2000). Pierre Torreilles dans son bureau de directeur au sommet de la pyramide formée par la librairie Sauramps, place du Triangle à Montpellier : Où se dressait le cyprès blanc (Gallimard, 1992). Claude Vigée en un château de Cerisy rendu humide par une fin de saison pluvieuse en 1988 : Aux portes du labyrinthe (Flammarion, 1996) et Le passage du vivant (Parole et Silence, 2001). Boris Gamaleya dans sa maison de la Plaine des Palmistes, sous les remparts abrupts des monts volcaniques qui fortifient le ciel et caparaçonnent le soleil : L’Arche du comte Orphée (Azalées, Sainte-Marie, 2004). Plus que de livres isolés, il s’agit ici, dans le premier comme dans le second cercle, de suivre-vivre une œuvre dans la possible proximité d’une personne…

Courant maintenant à l’horizon de tout (mais finalement il est proche et on le touche tout de suite de la main …sans l’atteindre ! — ô mystère !), il faut y poster les grandes vigies qui permettent d’ouvrir et de sans cesse rouvrir l’élan de l’être : les philosophes taoïstes et la poésie chinoise millénaire qui se nourrit de ce rapport au monde (avec François Cheng pour éclaireur) ; le « logos » selon les présocratiques ; Platon le mythique et Plotin le chantre de l’Un ; la mystique rhénane de Maître Eckhart (que j’ai toujours trouvé très proche d’Ibn’Arabi et d’une certaine spiritualité chîite tels que présentés par Henry Corbin), mais aussi Raymond Lulle, Dante et Pétrarque.

Sur ce fond, mais sans complet dépaysement, il est possible de travailler la matière de notre présence au monde avec les divers maîtres de la phénoménologie qui poussent chacun de leur côté des lignes d’erre, de fuite et d’horizon : Martin Heidegger, Maurice Merleau-Ponty, Henri Maldiney, Emmanuel Lévinas, Jacques Garelli (qui compte beaucoup pour moi et que je pourrais placer tout aussi bien dans mon « second cercle »).

Plus près encore, dans la pâte même de notre monde, dans la chair des choses prise dans la chair des mots, — présence absente saisie par le verbe qu’elle transit (= traverse) —, quelques romanciers me parlent aussi de l’essentiel : Pierre Michon, Richard Millet, Jean-Loup Trassard ; Peter Handke, Antonio Lobo Antunes et Bohumil Hrabal ; et, avec deux styles tout autres encore, Jean Échenoz et Michel Rio.

N’oublions pas, pour finir ou pour (re)démarrer, les nécessaires décapants et antidotes, produits de régime pour l’intellect, dégraissants de toute inflation verbolâtre, ces œuvres qui ne laissent rien en place et démolissent tout, tout le temps, pour sauver la santé de l’esprit et même celle du corps : le monumental Zibaldone de Leopardi (Allia, 2004), qui est l’anti-Bible par excellence si l’on veut faire de la Bible un pavé dogmatique ; La vie et les opinions de Tristram Shandy, gentilhomme de Sterne (nouvelle traduction française en 2004, éditions Tristram of course…) ; et toute l’œuvre, intensément roborative, de cet immense vivant que fut Samuel Beckett qu’il m’a plu d’entendre réciter par cœur par quelques-uns de nos jeunes écrivains les plus prometteurs.

le 2 mars 2005


dimanche 7 octobre 2007

SALUTATION (pour la Saint-Serge)



Salutation

de l'Ange / à l'Ange

en partage avec Marcel Rio dit Jean Celte


Si va ton goût à l’ample texte
l’Ange est ce livre ouvert
bruissant du verbe
— de silence ou source à murmures —
d’un doigt éloquent et muet
il annonce naissance

Il annonce venance
premier goût ou commencement
il donne essor et volte
prime-saut sur l’abîme

Il ne nomme ni ne montre
d’un clin il fait signe
— Nœud ou pelage, œil ou voix, tact —
ouvrant le rien — liant le vide
ensemble il noue et dénoue

Foin de terroir et de racines
il sourit dans l’azur
au luisant et tranchant de l’arc
arme le bleu du ciel
des airs l’architecte —

Mainteneur du juste vibrato
— l’arc ou la lyre ? —
il répond aux puissants
aux teneurs des dures tenures :
Peste ! vaincs-les, rois qui la donnent !

Il passe au vert les noirs desseins
il passe au bleu raisons mauvaises
fuient aux enfers rois sans ailleurs
gens avec ou sans terres—
Jean — Jean s’avance

Bonté sans corps sans moi ni loi
il n’est pas encore — ici ou ailleurs —
il n’est il n’est — il est presque
Il naît.

COMMENTAIRE DU "BANQUET" DE PLATON (6)



(Suite et fin du discours d'Aristophane)
En effet, cette affection, dont le dieu est le garant, ne saurait trouver sa source comme sa fin dans les seules délices de « l’union sexuelle », si bouleversante et ravageuse qu’elle puisse paraître. L’amour ainsi conçu représente surtout un souhait de « l’âme », mais « quelque chose qu’elle est incapable d’exprimer ». Et, pour tenter d’en dire tout de même l’essentiel, Aristophane recourt à nouveau au mythe. Il suppose que deux amants enlacés reçoivent, au moment le plus effusif de leur union, la visite d’Héphaïstos, le dieu forgeron, qui ne leur propose rien moins que d’unir leurs deux personnes en un indissoluble alliage charnel et spirituel, au point qu’ils ne formeront plus qu’« un seul être », ici et dans l’Hadès, après « une mort commune ». De la sorte, le désir le plus secret trouve sa formule : « s’unir avec l’être aimé et se fondre en lui, de façon à ne faire qu’un seul être au lieu de deux ». Dans la perspective mythique dessinée plus haut, il s’agit de « retrouver cette totalité » qui fut celle des premiers êtres humains, cette recherche parfois effrénée s’appelle « amour ». Aristophane définit ici à la perfection ce qui prendra, dans les siècles des siècles, le nom d’amour idéal et absolu, ou d’amour « romantique » : nous n’en sommes pas sortis et cela reste l’une des illusions les plus chères au cœur de l’homme ! Mais le type d’humour prêté par Platon à l’auteur comique incite à se méfier de cette trop belle histoire dont la leçon n’a manifestement rien de philosophique.

En effet, l’on peut s’amuser du fait qu’Héphaïstos soit ainsi mis en scène dans l’ultime avatar du mythe, car ceux que surprit le dieu forgeron dans une telle posture n’étaient autres, dans la mythologie « officielle », qu’Aphrodite, sa propre épouse (et parèdre d’Éros), et Arès, le beau et redoutable dieu de la guerre ! L’on peut douter qu’il ait eu envie de leur proposer l’union qu’il ménagerait complaisamment aux autres : il se contenta de les capturer en un filet et les exposa aux regards et aux rires des autres dieux de l’Olympe. De plus, il y a discordance entre les outils du forgeron, destinés aux métaux, et ce qui concerne la chair dans son rapport à l’âme : Apollon était tout à l’heure dans un rôle de chirurgien réparateur plus conforme à la vraisemblance concrète. Il nous semble que c’est une façon de souligner l’invraisemblance de ce vœu du corps-&-âme — irréalisable malgré le patronage d’Éros — et son manque de légitimité philosophique — il unit en séparant pour toujours. Le bien absolu ici visé par la réunion fusionnelle des moitiés est un idéal privé qui ne rejoint ni ne touche en rien quelque autre idéal que ce soit, ni celui de la perpétuation naturelle de l’espèce, ni celui, politique, de la cité, ni celui que garantit le ciel des Idées ou des Fixes, ni celui que cautionnent la religion et tous ses rites. Il y a, dans la fusion amoureuse immédiate et absolue, une manière quasi frauduleuse de s’assurer l’unité en faisant l’économie du nécessaire passage de la différenciation à l’unification comme de tout cheminement régulé et du progrès qu’implique l’accession à un idéal unifique. Ce court-circuit, qui produirait l’un, beau et bon, en un éclair ou en un alliage instantané, est un rapt ontologique qui confisque l’être en l’arrêtant et figeant. Cet égoïsme — égotisme ou solipsisme — de l’un ne saurait prétendre à aucune vérité (Diotime le suggérera rapidement en l’un des plis de son discours). Le poète comique non plus ne prétend guère à la vérité, lui qui fait rire en reprenant à la fin l’idée, déjà évoquée au début du récit mythique, que Zeus, si les hommes ne s’amendent, pourrait bien redoubler son châtiment en les coupant encore en deux : ils iraient alors « sur une seule jambe à cloche-pied », « pareils aux personnages que sur les stèles nous voyons figurés en relief, coupés en deux suivant la ligne du nez ». Risible que l’ultime métamorphose de l’homme en unijambiste, ainsi réduit à une unicité plus invivable encore que les précédentes et moins réparable ! Les protestations de piété et les incitations au respect envers les dieux, présentes en cette péroraison, visent la dignité et la bienséance, esquissant, c’est le jeu convenu, les modalités d’un vrai culte à Éros et soulignant la qualité d’une ferveur singulière dont l’orateur a, par l’intermédiaire du mythe, précisé la teneur. Le discours d’Aristophane montre avec brio ce qu’est capable de « prouver » le génie littéraire et, au regard du philosophe, il en révèle en même temps les limites.

Tactique de Socrate (Phèdre coupe court à un élenkhos intempestif, 193e-194d)
Après ce morceau de bravoure qu’est le discours d’Aristophane, il y a de quoi s’inquiéter pour ceux qui doivent encore parler : il leur sera difficile de mieux faire ! Éryximaque se dit pourtant confiant dans le talent d’Agathon et dans celui de Socrate. Ce dernier joue, une fois de plus, son rôle d’ignorant et fait celui qui redoute surtout la concurrence d’Agathon. Le poète tragique accuse alors Socrate de tenter de le troubler en suggérant que l’attente du public est encore plus grande qu’il ne le craint lui-même. Socrate rappelle avec quelle aisance Agathon s’est présenté au vaste public qui emplissait l’Odéon, quelques jours avant la représentation de son œuvre. Mais Agathon oppose les exigences d’une foule ignare à celles d’un cercle d’intellectuels choisis devant lesquels il a peur d’avoir honte s’il dit quelque chose de laid. Et Socrate, qui cherche peut-être un moyen d’échapper à l’éloge qu’on lui demande en détournant nettement le cours de l’entretien, assène soudain une affirmation outrageante pour le jeune homme en prétendant que « devant la foule [il] n’aurai[t] pas honte s’[il] faisai[t] quelque chose de laid ». C’est une provocation pure et simple destinée à lancer une réfutation en règle du point de vue d’Agathon, c’est le début d’un élenkhos comme Socrate sait en réserver à ses jeunes amis. Phèdre, « père » du thème traité lors du banquet c’est-à-dire l’éloge d’Éros, intervient pour empêcher cette dérive et Agathon va enfin pouvoir s’exprimer.

samedi 6 octobre 2007

CIEL DU TROPIQUE



L'échancrure d'un nuage pommelé
engrange la lumière
comme plume au nid :
notre seule neige efficace.

*

Ciel gris, lac de lumière
où s'exténue la couleur
pour rendre sa chair
au noir et blanc.